Un an au balcon

De mon balcon, tous les jours, les perruches filent en flopée au Jardin.
Vers 19h je les attends, dans la vallée de Pagrati où j’ai posé mes affaires. Entre l’amphithéâtre du Hilton et les marbres du Stade, elles fusent bas en hurlant : peu leur importent la dureté de l’hiver dans mes pièces non chauffées, l’humidité qui suinte et perle sur le carrelage gris. Elles savent que bientôt les ciels clairs de janvier, février dérouillant ses vertèbres puis mars, défiant, et enfin le printemps.

Alors le balcon se couvrira d’une terre rouge, sables du Sahara roussi dans le ciel enfermé.
Enfouie la mosaïque, dans la rue, enfouies les voitures. Partout, la fièvre prendra la tête et les jambes : tout sera lent, tout sera peine – la ville s’impatientera en attendant le vent neuf. Quand enfin il viendra, un soupir heureux : ouvrez les fenêtres, sortez les tapis ! On secouera l’apathie, on balaiera le tourment pour qu’il rejoigne son désert lointain.

Puis, du balcon, l’odeur des fleurs d’orangers et l’encens annonceront la Pâque.
Les boulangeries n’en finiront pas de pétrir, natter et enfourner les tsoureki qui embaumeront les rues. Au marché, les haricots et fèves aux mille formes s’étaleront en tas verts et le poissonnier, Poséidon naufragé, emballera ses anchois dans du papier journal. Bientôt le Petit Palais fermera ses écrans et accrochera : kalo kalokairi, voyons-nous en septembre.

Sur les collines, les coquelicots se faneront quand le balcon se couvrira tout d’un coup début mai.
Déroulement de stores pour éviter l’orage qui explosera en averses, ruissellera en torrents, se protéger du soleil qui déjà sera dur. La plage appellera ses premiers visiteurs et les dimanches se videront, à mesure du soleil. Bientôt les soirées de fraîches deviendront douces, et les enfants se retrouveront sur les places sacrées: Varnava, Mesologiou, Proskopon résonneront, Sainte-Trinité.

Lorsque tombera l’été, ma chaise de bois vieilli s’installera en résidence à gauche du balcon.
Après la sieste tendre sur le canapé rose, les perruches me réveilleront pour rappeler la journée : les bonjours de loin au tapissier bichrome, à l’encadreur mutin et ses cheveux christiques ; les sourires lancés aux hommes qui vieillissent, tranquilles, le matin au café. Le freddo qui réveille, quelques mots partagés, puis le travail, isolée du côté des toilettes.

Quand arrivera la nuit au cœur même de l’été, le balcon que je quitte annoncera l’inconnu.
La concierge et son chien qui puent à l’unisson se baladeront à la lune, les jeunes hurleront entassés chez Chelsea, les kiosques périptères sauveront les soirées, tandis qu’à Pratinou deux vieilles sœurs domineront l’Oasis, depuis le guichet d’une autre ère cinématographique. L’odeur du jasmin, les moustiques, avant le grand exode, saignée du 15 août tous les ans infaillible.

En septembre doucement, le balcon reprendra vie.
Les dames aux cheveux fous se retrouveront dehors, heureuses de pouvoir à nouveau juger les autres femmes : poli orea, une tenue validée, un léger signe de tête et un regard en coin. L’Oasis fermera pour que Le Petit Palais rouvre et l’éclat joyeux des rues de Pagrati reprendra ses échos de retour de vacances. Alors que viendra novembre, le soleil s’étirera, refusera de céder : tout sera plus lent, voudra encore durer.

Et bientôt le balcon, à nouveau découvert.
On lèvera le store, on cueillera, peiné, la chaleur qui s’étiole. Mais rien à faire : l’hiver. Et alors l’humide, alors le morne. Et les perruches, constantes, n’en finissent de hurler, annonçant déjà janvier et février.